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La solitude du photographe

Pour ses images prises en Syrie, le photographe Laurent Van der Stockt a obtenu, le 7 septembre, le prix du meilleur reportage d’actualité de l’année au Festival du photojournalisme de Perpignan, et c’est une très bonne nouvelle.

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On est d’abord content pour lui, car il est très talentueux. Et puis content pour nous. Ses photos ont en effet été publiées dans Le Monde, en cinq épisodes et douze pages, du lundi 26 au vendredi 30 mai, avec des textes de notre confrère Jean-Philippe Rémy. Entre enquête et reportage, le tandem a doublement marqué les esprits : il a réussi à atteindre Damas au printemps, et il a révélé l’usage d’armes chimiques par l’armée de Bachar Al-Assad. On sait, depuis, combien cette question fait son chemin.

Si on reparle, ici, de ce prix, c’est pour une autre raison. Elle touche à l’approche visuelle de Van der Stockt. Celui-ci l’a évoquée dans Le Monde du 10 septembre : « Le jury pouvait récompenser un travail plus photographique, avec des images de combat extraordinaires, mais il a choisi un travail journalistique. Je trouve que cela envoie un bon message aux jeunes photojournalistes : le but n’est pas de faire des photos pour exposer ou gagner des prix, mais d’essayer de s’approcher un peu de la vérité. »

En trois phrases, Van der Stockt soulève une mine de questions qui sont au coeur de son métier. Pour comprendre l’enjeu, il faut rappeler que le jury a hésité entre lui et le Serbe Goran Tomasevic, de l’agence Reuters. La comparaison est d’autant plus intéressante que tous deux présentaient des images de Syrie. A priori, il n’y avait pas photo. Tomasevic réalise en effet un type d’images qui, quasiment toujours, emporte les suffrages : spectaculaires, au coeur des combats, chaotiques, avec son lot de blessés et de morts. On se croirait dans Il faut sauver le soldat Ryan.

Que montre Van der Stockt ? Des rebelles armés portant des masques à gaz, des hommes aux yeux meurtris par le gaz toxique et auxquels on prodigue tant bien que mal des soins, des combattants en plan large dans un paysage urbain détruit. Pas vraiment de combat, peu de mouvement, des couleurs assez ternes, une composition sans prouesse. Sans les textes de Jean-Philippe Rémy, elles disent peu. Et sans les images, les textes perdraient de leur force. Mais la lecture d’ensemble constitue une enquête et un témoignage inédit sur les armes chimiques à Damas. C’est cette tension qu’explore Van der Stockt. Il accepte que les mots viennent à sa rescousse quand l’image est impuissante. D’autres photographes, peu nombreux, pensent la même chose. C’est le cas de Paolo Woods, dont le travail sur Haïti sera exposé au Musée de l’Elysée, à Lausanne, à partir du 20 septembre. « Il y a de l’arrogance à dire que les images parlent d’elles-mêmes, nous a-t-il confié. La photographie est un langage pauvre, paresseux, de surface. Elle a besoin de décryptage si elle représente le monde. » D’où le choix de Paolo Woods de publier de gros livres (Iran, bataille pour le pétrole, Chinois en Afrique…) avec des textes de notre confrère Serge Michel.

« S’APPROCHER UN PEU DE LA VÉRITÉ »

Jean-Luc Godard l’avait dit à sa façon : « Ce qui compte dans les photos de presse, ce sont les légendes qu’on leur colle dessous. » Jean Baudrillard aussi. Mais dans les métiers de l’image médiatique, chez les photographes notamment, cette tension entre enquête écrite et enquête visuelle n’intéresse plus grand monde. Ce n’est pas la seule explication, mais l’évolution du marché de la presse y est pour beaucoup : manque d’argent, disent les magazines illustrés, qui publient de moins en moins de reportages d’actualité. Manque de désir, aussi.

Il en résulte un changement d’attitude chez les jeunes photographes : autrefois, ils partaient sur un conflit sans donner de date de retour, pour ramener des images au plus près de l’information dans le but de les publier dans un journal. Aujourd’hui, ils partent quelques jours pour capter des « photos fortes » dans l’espoir de les exposer en galerie, de les projeter dans un festival, de publier un livre, et d’obtenir un prix. Ils embellissent leurs épreuves grâce aux logiciels de retouche, comme le montre un article instructif publié sur le site du British Journal of Photography (bjp-online.com), en date du 20 décembre 2011, titré « Post-processing in the digital age : Photojournalists and 10b Photography ».

Van Der Stockt clôt sa déclaration en disant qu’un photoreporter doit tenter de « s’approcher un peu de la vérité ». Là encore, l’enjeu est lourd. Et sa position fragile. Car il se situe entre deux camps qui se méprisent. D’un côté, ceux qui pensent que le photojournaliste est un témoin capital qui rend compte du monde, voire peut le changer ; de l’autre, des historiens, sociologues de l’image, photoreporters repentis, pour qui l’objectif est vain, tant la chaîne de l’image de presse, du photographe jusqu’au journal, serait gangrenée par des intérêts commerciaux qui l’obligent à privilégier des photos spectaculaires et caricaturales. Van der Stockt trouve les premiers très naïfs, et les seconds trop radicaux.

Dans un entretien publié dans la revue Six mois, en mars 2011, il disait : « Révéler, c’est bien, forcément. Approcher la notion de preuve aussi, même si c’est fragile, surtout en photographie. Je pense qu’il faut chercher de son côté, qu’il faut être seul, et aller là où on ne regarde pas. J’ai du mal à rester là où sont réunis cinquante photographes qui ne pourront se distinguer que par la forme. La recherche d’originalité fait souvent mauvais ménage avec la réalité des choses. » Un protocole qu’il a appliqué à la lettre en Syrie.

Lire aussi : Visa d’or pour Laurent Van der Stockt, photographe en Syrie pour Le Monde

guerrin@lemonde.fr

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