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Les boutiques font de la e-résistance

Les grands boulevards parisiens ressemblent à un cimetière des éléphants : à 650 mètres de distance, les enseignes Surcouf et Virgin ont définitivement baissé le rideau de fer. Terrassées, paraît-il, par le commerce en ligne… En 2012, les Français ont en effet dépensé 45 milliards d’euros sur Internet, 31 % de plus qu’en 2010. Et l’année dernière, le m-commerce, commerce « mobile » sur smartphones et tablettes, a augmenté de 150 % (1). Le lèche-écran serait-il en passe de remplacer le lèche-vitrines ? Pas si sûr. Car les consommateurs restent attachés à leurs magasins. Surtout quand il en va de leur garde-robe : plus de 90 % des achats se font toujours en boutique ! « L’idée que l’e-commerce est en train de tuer le commerce est un fantasme, assure Catherine Barba, auteur d’un rapport sur le sujet pour Bercy, et dont le dernier livre, Le magasin n’est pas mort !, vient de paraître (2). Mais aujourd’hui, les commerces qui n’utilisent pas bien Internet sont en train de mourir car les clients ont changé. »

Le shopper du XXIe siècle a un écran perpétuellement à portée de l’index. Il aime toujours tâter les matières, essayer les tailles, se faire conseiller et repartir avec son paquet sous le bras… mais le Web l’accompagne désormais dans ses virées shopping. Il compare sur Internet, reçoit des réductions par courriel, vérifie une adresse sur son smartphone… « On pensait que les acheteurs sur Internet étaient différents de ceux des magasins. En fait, ce sont les mêmes : les clients utilisent désormais conjointement tous les canaux disponibles, constate Martin Gill, analyste chez Forrester Research, cabinet de conseil aux grands groupes sur leur stratégie numérique. Ils adoptent les technologies à une vitesse phénoménale. Les commerçants ont du mal à suivre. »

Avec son écran plus large et ses applications dédiées, la tablette est devenue l’accessoire incontournable des fashionistas : l’appli Catalogue permet de feuilleter simultanément plusieurs catalogues de vêtements. Grâce aux cabines d’essayage virtuelles du logiciel Fits.me, on peut enregistrer ses mensurations et vérifier si la taille est la bonne. « Plus personne ne conteste que les entreprises doivent s’adapter à cette nouvelle réalité, note Ian McGarrigle, président de World Retail Congress – le salon de la vente de détail -, qui se tiendra à Paris-La Défense du 7 au 9 octobre. Le rôle des boutiques est en train de se modifier profondément. »

Aux quatre coins des rues commerçantes du monde – mais surtout aux Etats-Unis, en Asie et en Angleterre -, le numérique révolutionne les points de vente. La boutique est morte. Vive la boutique connectée ! Fin 2012, à Amsterdam, des codes à flasher sont apparus sur les vitrines, permettant aux clients d’acheter les produits depuis leur smartphone. Au même moment, à Nuremberg, en Allemagne, un magasin Adidas testait une vitrine interactive : les passants avaient accès, depuis leur téléphone, à toute la collection Neo, ils pouvaient acheter les produits et donner leurs avis sur les réseaux sociaux. Avec la devanture tactile, ils avaient aussi la possibilité de faire essayer les vêtements à des mannequins virtuels…

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Lorsqu’il est possible d’acheter depuis n’importe où et à n’importe quelle heure, l’expérience en boutique ne saurait tolérer d’accroc. « Trop souvent, notamment en France, les patrons ont séparé le e-commerce du marketing et du commercial, analyse Ilan Benhaim, qui dirige depuis avril vente-privee consulting, la branche conseil du groupe vente-privee.com. Il faut revoir toute l’organisation des groupes et former les équipes, depuis la direction jusqu’aux vendeurs. » Chez Uniqlo, au Japon, les clients qui ne trouvent pas leur taille peuvent ainsi passer commande sur une borne Internet et choisir de se faire livrer chez eux, au magasin ou dans un relais. Une bonne façon de gérer la problématique et onéreuse question des stocks… D’ailleurs, dans certains magasins Marks & Spencer de Londres, les habits ne sont plus entreposés sur place, mais uniquement exposés dans un showroom high-tech, avec achat sur borne et livraison à choix multiples. Devant un client hyperconnecté qui en sait souvent plus que lui sur un article, mais continue de privilégier le contact et les conseils, le rôle du vendeur doit forcément évoluer.

Dans certains magasins Sephora, distributeur de produits de beauté, les équipes ont été dotées de terminaux capables de lire la carte de fidélité des clients, d’accéder à l’historique de leurs achats et d’encaisser directement. A terme, en collectant ces informations – taille, poids, couleurs préférées, produits de prédilection… -, les marques rêvent d’offrir un service vraiment sur mesure. C’est le but du tout nouveau programme Customer 360 de Burberry, qui permet aux vendeurs de savoir quelles pièces un client a achetées à l’étranger ou quel commentaire il fait sur la marque sur Twitter. Ce degré de précision offre des perspectives vertigineuses de marketing hautement ciblé. Aux Etats-Unis, les cosmétiques Kielh’s ont déjà recours au « geofencing » : les clients abonnés reçoivent un texto promotionnel lorsqu’ils passent près d’un point de vente. Le fabricant de vêtements de sport The North Face ne se limite pas aux boutiques : les textos appâtent le chaland jusque dans les stations de ski… Comment résister à l’appel de la doudoune quand on se gèle sur un télésiège ?

(1) Source : Fédération du e-commerce et de la vente à distance. (2) Le magasin n’est pas mort !, de Catherine Barba, est à télécharger sur le site de la Fevad : www.fevad.com

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