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"C’est la fin ": L’Apocalypse, c’est aussi pour les nuls

Très en vogue ces derniers mois, le film apocalyptique inspire aux réalisateurs des visions du futur fulgurantes, des tableaux de désolation saisissants, des messages métaphysiques puissants. Mais rien qui ne ressemble de près ou de loin à ce délire eschatologique qui nous arrive aujourd’hui. Il est cosigné par les acteurs, scénaristes et producteurs Seth Rogen et Evan Goldberg, duo issu de l’écurie Apatow, qui fait aujourd’hui ses débuts dans la réalisation.

C’est la fin raconte les retrouvailles entre Seth Rogen et Jay Baruchel qui, comme tous les acteurs du film, jouent leurs propres rôles. Bien décidés à abuser, le temps d’un week-end régressif, de la fumette, de la « junk food » et des jeux vidéo, les complices s’enferment dans la maison de Rogen. Mais ce dernier manifeste le désir de passer à la fête dantesque, organisée par James Franco. Jay accepte à contrecœur. La sauterie bat son plein chez Franco et tient toutes ses promesses exubérantes. S’y croisent la chanteuse Rihanna, harcelée par un Michael Cera débauché, ou bien encore l’actrice Emma Watson. Mais Jay, guère à son aise, profite de la première occasion pour entraîner Seth à l’extérieur, où ils découvrent une scène de fin du monde.

Les habitants de Los Angeles, en proie à la panique, dévalent les rues défoncées. Le fameux Big One, ce tremblement de terre dévastateur attendu sur la côte Ouest ? Une attaque extraterrestre ? Les deux comparses ne demandent pas leur reste et reviennent ventre à terre chez James Franco, où ils vont tenir le siège. Seth Rogen et Evan Goldberg ne se contentent pas de parodier le film apocalyptique, ils l’hybrident avec le stoner movie (film de fumette), le buddy movie (film de potes) et le survival (film de survie). Autant de genres dont on sent qu’ils sont grands consommateurs, tant ils en maîtrisent les codes. C’est la fin est l’occasion de réunir une vraie bande d’amis, à la ville comme à l’écran, ce qui constitue une source intarissable de vannes à caractère personnel.

Seth Rogen est, par exemple, copieusement raillé pour sa prestation dans Le Frelon vert, de Michel Gondry, à qui la troupe rend cependant hommage, en faisant un film « suédé ». Reclus, contraints de boire de l’eau et désœuvrés, les joyeux drilles décident de donner une suite à Délire Express (film produit, en 2008, par Judd Apatow qui réunissait Seth Rogen et James Franco), avec les moyens du bord. Tous ces moments participent de la drôlerie de l’ensemble mais n’occultent en rien le caractère potache du film. Trop long, mal ficelé, foutraque, ponctué de private jokes, il se destine essentiellement aux fondus de la comédie US contemporaine qui se réjouiront de retrouver les acteurs qui la font vibrer. Se livrant sans retenue à l’autodérision, ils contribuent même à la réhabilitation inattendue du célèbre Boys Band, les Backstreet Boys. Mais ça n’ira guère plus loin.


Film américain de Seth Rogen et Evan Goldberg avec James Franco, Jonah Hill, Seth Rogen, Jay Baruchel, Danny McBride, Craig Robinson (1h47).

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"La Confrérie des larmes": Gabriel, héros (trop) plein de mystères

Ex-flic et père célibataire, Gabriel (Jérémie Renier) traverse – avec l’aide de la bouteille – une mauvaise passe, jusqu’au jour où une vieille connaissance lui propose un curieux travail : livrer des mallettes, parfois jusqu’au bout du monde, à des commanditaires anonymes. Seules contraintes: ne jamais manquer un rendez-vous, ne jamais poser de questions sur le contenu de la mallette et, surtout, ne jamais ouvrir la mallette. Au bord du gouffre, Gabriel accepte. et croit d’abord avoir trouvé la panacée. Son compte en banque gonfle à une vitesse exaltante et les mois de galère, où il peinait à régler la cantine de sa fille, semblent rapidement très loin. Mais l’instinct de l’ancien flic finit par reprendre le dessus et, à ses risques et périls, Gabriel va tenter d’en savoir plus.

Rivé de bout en bout à son personnage, La Confrérie des larmes met Jérémie Renier dans tous les plans, tout proche. Ses interrogations seront les nôtres, peut-être ses scrupules. Seule son histoire, que le réalisateur refuse d’exhiber, reste la sienne. Cantonner ainsi le personnage – et le spectateur – dans le présent est sans doute la meilleure intuition du film. Lardé d’un passé douloureux trop explicite, d’une culpabilité trop lourde, Gabriel ne serait que l’un de ces ex-flics en détresse que le cinéma d’action aime trop. Mais Jean-Baptise Andrea et Jérémie Renier en font autre chose.

Si le réalisateur aime bien s’autoriser avec parcimonie les compositions un peu théâtrales, il se méfie des plans trop graphiques, des langueurs héroïsantes que l’objectif tend à prendre lorsqu’il est trop proche trop longtemps. Concentré, gardant une belle retenue, même dans la part sentimentale de son histoire (sa relation avec sa fille), Jérémie Renier fait preuve d’une sobriété et d’une crédibilité irréprochables, jusque dans un final à la Mad Max qui l’emmène aux confins de la folie.

Cependant, en dépit de l’intérêt réel du personnage, le revers de la médaille se fait rapidement voir : à rester si proche de Gabriel, le spectateur, qui n’aime rien tant qu’être complètement pris au dépourvu ou, à l’inverse, tout savoir avant les autres, finit par se lasser de son errance. Le mystère le plus épais persiste jusque dans les derniers instants du film, mais l’on cesse de s’y intéresser bien avant qu’il ne se dévoile, faute d’indices qui nous permettraient de fusionner plus loin encore avec le personnage, de partager l’enquête.

Or, lorsqu’il finit par se dévoiler, on reste pantois devant la richesse, la force de la solution trouvée par Jean-Baptiste Andrea et son coscénariste Gaël Malry. Mais il reste trop peu de temps pour comprendre, juste assez pour être saisi, et frustré que les deux scénaristes se soient sous-estimés au point de croire qu’ils n’avaient dans les mains que le soubresaut final d’un film d’action. Mais la chute avait bien trop d’élégance pour s’y restreindre.


Film français de Jean-Baptiste Andrea, avec Jérémie Renier, Audrey Fleurot, Mélusine Mayance, Bouli Lanners, Antoine Basler… (1h40.)

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"Shérif Jackson": un jeu habile et froid avec les codes du western

Prostituée repentie, Sarah (January Jones) vit très simplement, dans une ferme isolée, avec son mari Miguel. Mais un soir, Miguel ne revient pas… Sarah se met à soupçonner le « prophète Josiah » (Jason Isaacs), à la tête d’une secte de fondamentalistes voisine de leur propriété, à qui Miguel avait eu le tort de tenir tête. Par un autre chemin, le shérif Jackson (Ed Harris), redresseur de torts excentrique à la recherche de deux frères disparus, en vient également à surveiller de près Josiah… Les chemins de ces trois personnages hauts en couleurs ne vont pas tarder à se croiser, et la rencontre ne se fera pas sans heurts.

Archi-western ou anti-western, Shérif Jackson s’approprie trop visiblement les codes du genre pour que l’on ne le soupçonne pas rapidement de vouloir les détourner. L’opération se concentre essentiellement sur le personnage éponyme, sorte de justicier fou qui ponctue ses missions de quelques pas de danse, joue avec le feu sans jamais perdre de son calme, s’amuse beaucoup, surtout lorsque le danger règne, mais reste au fond de lui-même d’un éminemment sérieux. Dans l’interprétation délicieuse que Ed Harris en donne, le shérif Jackson n’a pas grand-chose de l’homme de loi à la John Wayne, mutique et concentré, sensible, mais rarement rigolo.

Cependant, au-delà de ce fascinant personnage – qui apparaît au demeurant beaucoup plus brièvement que le titre ne le laissait entendre –, il reste assez difficile de savoir ce qui, dans Shérif Jackson, relève du premier et du second degré, et pourquoi. Le prophète Josiah est évidemment excessif, et Jason Isaacs s’en donne à cœur joie, dans un renoncement libérateur et quasi-mystique à toute forme de subtilité dans le jeu. Josiah a tout le code: polygame, faux calme furieux sous ses vêtements raffinés, passionnément cruel, luxurieux, méchant, jaloux, vicieux. Il est même trop codifié pour être neuf, tout comme Sarah (January Jones), la mort en robe de bal, justicière impitoyable qui ne dit presque rien, toute aux élégances de sa dégaine et de ses gestes.

EST-CE DRÔLE?

Qu’est-ce donc que ce Shérif Jackson ? Est-ce drôle ? Il y a trop peu d’inventivité dans le détournement, si détournement il y a, et trop de sérieux dans la mise en scène pour que l’humour y ait la moindre place hors les quelques élans loufoques qui saisissent le shérif comme autant d’accès de folie.

Est-ce sombre ? Les personnages sont trop stylisés, trop prisonniers du code pour qu’on les aime ou les haïsse, et leurs règlements de comptes ne sont pas les nôtres. Leur histoire reste abstraite jusque dans le sang, à l’exception de celle de Sarah dans la première phase de son histoire, celle qui précède la vengeresse endimanchée et dédaigneuse : toute simple dans son jeu, January Jones donne au bonheur puis au bonheur perdu bien plus de sève qu’à sa quête de justice, et la séquence en deux temps où, son mari disparu, elle s’aperçoit qu’elle est en train de faire une fausse couche, est superbe. Muette, cette douleur-là est grande.

Hésitant entre le saloon et le cimetière, Shérif Jackson reste un film terriblement froid, sans cœur ni âme. On l’observe, avec une curiosité parfois très satisfaite – car les deux réalisateurs ne manquent pas d’idées, on goûte de belles trouvailles visuelles, mais on n’y entre pas, et la vie y étant aussi froide que la mort, les deux se mêlent dans l’indifférence tandis que justice et vengeance, incapables de toute brûlure, se bornent à faire avancer l’histoire.


Film américain de Logan & Noah Miller, avec Ed Harris, January Jones, Jason Isaacs et Eduardo Noriega (1h35).

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"Planes": mettre deux ailes aux "Cars"

Dusty pourrait n’être qu’un avion épandeur comme les autres, qui vole au-dessus des champs et asperge les récoltes de traitements agricoles. Mais Dusty a une passion : la vitesse. Passion, hélas, peu conforme à sa constitution, et qui fait beaucoup rire son entourage. Cependant il s’entête et avec l’aide d’un ancien de l’aéronavale, Skipper, entreprend de se qualifier pour la plus célèbre course du monde : le Grand Rallye du Tour du Ciel.
Assumant pleinement son statut de spin-off (dérivé) de la franchise à succès de Pixar, c’est au-dessus des voitures sympathiques de Cars que se déroule l’aventure de Dusty et de ses amis. Comprenons « au-dessus » dans le sens concret seulement du terme. L’univers visuel est, comme il se doit, identique à celui du modèle : reflets métallisés, couleurs et volumes de jeux de construction pour enfants, solides et légèrement arrondis. Les habitants de ce monde sont trapus (à l’exception de l’avion indien, dont les lignes effilées connotent une féminité raffinée), brillants, sans angles durs : s’ils sortaient de l’écran, de petites mains pourraient sans danger s’en saisir et leur inventer des histoires.

Cependant, si la continuité dans le ton et l’image est dans la nature même du spin-off, était-il bien indispensable que le scénario de Planes soit à ce point semblable à celui de son prédécesseur ? Planes est moins drôle, pas seulement parce que les quelques blagues bien senties sont destinées aux adultes, mais surtout parce que ses principaux ressorts comiques (le meilleur ami benêt en tête de liste) sont si exactement ceux de Cars que l’on en oublierait que ces voitures-là ont des ailes.

Il est aussi moins distrayant, parce que l’histoire du challenger improbable qui devient contre toute attente l’étoile de la compétition commence à avoir vécu, en tous cas sous la forme que Disney (qui n’est pas seul, loin de là, à affectionner l’exercice) lui donne. Le message, au demeurant, reste galvanisant, et le petit Marcel, qui est le dernier de la classe en sport, s’en trouvera autorisé à se rêver en star du foot, tandis que la petite Julie, qui souffre tant que l’on se moque de son appareil dentaire, renouera, un peu réconfortée, avec ses projets de mannequinat.

Mais pour les nombreux adultes qui, en l’assumant ou non, connaissent mieux leurs Disney/Dreamworks/Pixar que leur progéniture, la séance risque d’être d’autant plus longue que Planes est déjà programmé pour être le premier volet d’une trilogie… Attachons nos ceintures.


Film d’animation américain de Klay Hall (1h32).

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"Tinghir-Jérusalem, les échos du mellah": ombres de la paix perdue

Kamal Hachkar, l’auteur de ce film, est un professeur d’histoire de 33 ans qui a émigré en France à l’âge de 6 mois depuis son Maroc natal. Un pélerinage au village berbère de ses pères, Tinghir, lui révèle la longue cohabitation qui a uni en ces lieux Juifs et Musulmans, avant que la plupart des Juifs marocains ne rejoignent le jeune Etat d’Israël dans les années 1950. Kamal cherche à comprendre les raisons de ce départ. D’abord en parlant avec les anciens du village, ensuite en partant pour Israël, où il retrouve les Juifs de Tinghir, dont certains descendants de sa génération qui partagent sa curiosité pour ce passé commun.

Il y a indéniablement quelque chose de beau et d’émouvant à voir ce jeune franco-marocain défier les dissensions politiques pour venir parler en toute amitié avec des citoyens israéliens. Sa démarche est évidemment un défi incarné à la prétendue inéluctabilité du conflit judéo-arabe. Elle est aussi, hélas, une consolation d’assez modeste portée eu égard à l’écrasante détermination des forces historiques qui ont conduit les Juifs arabes à quitter massivement leurs pays d’origine.

S’agissant du cas particulier du Maroc, le film ne répond d’ailleurs pas très clairement à la question de savoir pourquoi ils sont partis, d’importantes variations dans l’interprétation de ce phénomène existant selon les interlocuteurs. Leur dépassement synthétique aurait dû concerner le professeur d’Histoire qu’est Kamal Hachkar, qui lui a manifestement préféré une démarche sentimentale, laquelle n’en est pas moins louable.


Documentaire français de Kamal Hachkar (1h26).

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"Vandal": le monde de la nuit, poétique et violent

Ça commence, ou quasiment, dans le bureau d’un juge (Corinne Masiero, pour une fois de l’autre côté du miroir, merci pour elle) où une mère complètement débordée (Marina Foïs) et son grand fils récidiviste (vol de voiture) et buté se voient sévèrement admonestés par l’autorité publique, qui réclame une mesure d’encadrement. Conclusion, Chérif, 15 ans, déménagera à Strasbourg, où il sera accueilli dans le foyer de sa tante et pourra reprendre contact avec un père perdu de vue depuis le divorce de ses parents.

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Chaleureusement reçu par ses oncle et tante, affectueusement revu par son père Farid (Ramzy), ouvrier en bâtiment qui le présente fièrement à tous ses copains, le taiseux et sombre Chérif reprend le cours d’un CAP de menuiserie qui constitue pour lui l’horizon de son rachat.

Il apparaît très vite que le monde adulte et la société qu’il représente ne suffisent pas à rattraper les dégâts possiblement commis à l’encontre de Chérif, ni à satisfaire la soif d’aventure et de transgression qui caractérise un garçon de son âge. Une provocation au lycée, et c’est déjà la baston, la menace d’exclusion.

PERFORMANCE ET EFFROI

L’aventure, accompagnée de l’amour (elle s’appelle Elodie, ressemble à un garçon manqué), viendra à lui clandestinement, par l’intermédiaire de son cousin germain, garçon modèle en famille mais membre secret d’un collectif de graffeurs. Chérif découvre dans ce monde de la nuit, furtif, violent et poétique, un terreau où s’enraciner. Avec ses rivalités, son romanesque, son besoin effréné du défi, de la performance et de l’effroi. Encore faut-il, là encore, en respecter les règles, ce que ne sait évidemment pas faire Chérif.

Hélier Cisterne, pour son premier long-métrage, en profite quant à lui pour dessiner de belles lignes de fuite à ce récit ambitieux (double défi des figures de l’adolescence et de la délinquance) par ailleurs un peu trop estampillé « jeune cinéma d’auteur français ». Toute l’action nocturne notamment, avec ses courses-poursuites, son imaginaire de serials et de super-héros, ses relents de tragédie et sa fatale attraction est d’une assez belle tenue.

On est ici dans une épure qui rappelle celle du premier et remarquable long-métrage de Rebecca Zlotowski, Belle Epine. Ajoutons que Zinedine Benchenine, le jeune acteur qui incarne le héros du film, est pour sa part parfaitement convaincant. C’est assez pour parler, selon la terminologie en vigueur, d’un talent prometteur.

Film français d’Hélier Cisterne. Avec Zinedine Benchenine, Chloé Lecerf,

Emile Berling, Jean-Marc Barr (1 h 24).

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"Room 514", en Israël non plus, l’honnêteté ne sert à rien

Des murs uniformes, ternes, des pièces froides et impersonnelles, des visages cadrés au plus près qui abolissent toute profondeur de champ: tout, dans Room 514, inspire la claustrophobie. C’est dans cet environnement administratif asphyxiant qu’évolue Anna, une enquêtrice de l’armée israélienne, déterminée à faire éclater la vérité autour d’un dérapage survenu dans les territoires occupés.

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Dans une pièce exiguë se tient face à elle un jeune soldat qui ne tarde pas à flancher et à confesser les violences qu’un Palestinien a subies, perpétrées par sa patrouille. Anna confronte alors l’officier qui a coordonné les opérations. Mais sa quête de justice acharnée se retourne contre elle.

BEAUTÉ INCONGRUE

L’essentiel du premier film de Sharon Bar-Ziv (tourné en quatre jours!) se déroule dans la salle d’interrogatoire où Anna s’échine à obtenir des aveux, dans de très belles scènes où les corps se frôlent et se défient. Avec une très grande précision dans ses cadres, le réalisateur orchestre une chorégraphie désirante et délétère. Sexe, pouvoir et domination cohabitent dans un lieu clos où la beauté de la jeune femme paraît, de prime abord, presque incongrue. Pourtant, ces premières scènes d’interrogatoire, filmées comme de dangereux préliminaires, appellent les étreintes charnelles qui s’ensuivront avec le supérieur hiérarchique de la jeune femme.

Anna fait l’amour avec la même ardeur qu’elle met à traquer les mensonges. Pourtant, elle n’hésitera pas à mentir sans vergogne à son tour à la fiancée de son amant, venue la confondre sur son lieu de travail. Tragique illusion de contrôle, sentiment chimérique de liberté. Prisonnière d’une société patriarcale écrasante et d’une organisation militaire conservatrice, Anna a peu de chance de faire valoir son autorité. Elle s’entête pourtant à poursuivre ses investigations, contre la volonté de ses supérieurs. C’est à sa propre armée qu’elle tient tête et, par ricochet, à l’Etat, ce qui ne va pas tarder à restreindre son champ d’action.

ABSENCE D’HORIZON

Cette absence d’horizon, le réalisateur la traduit à l’image avec ses cadres oblitérés. Il enserre les personnages dans la gangue étroite d’un décor bureaucratique, déshumanisant à l’excès, que même la belle vitalité d’Anna ne peut vaincre. Avec de rares plans à l’extérieur de l’administration – des trajets en bus pour l’essentiel, autre boîte de verre et de métal qui retient captifs ses protagonistes –, le film ne peut pas tout à fait être qualifié de huis clos. Pourtant, un sentiment d’oppression surplombe une fiction où l’enfermement n’est pas seulement physique mais également moral, politique, sociologique. C’est ce qui ressort de ces violentes luttes de pouvoir et de ces joutes verbales cinglantes où le travestissement de la vérité vaudra finalement mieux que sa révélation.

Sharon Bar-Ziv, qui commence une carrière tardive mais prometteuse dans le cinéma, livre un portrait de femme, éprise de justice et de liberté. Une idéaliste, impétueuse et ambivalente, qui va comprendre à ses dépens que « l’honnêteté ne sert à rien », comme l’affirmait Balzac dans Le Père Goriot. C’est cette innocence sacrifiée sur l’autel du conflit israélo-palestinien, tapi en arrière-plan, que dénonce Sharon Bar-Ziv dans un conte moral cruel, très finement exécuté.


Room 514. Film israélien de Sharon Bar-Ziv, avec Asia Naifeld, Ohad Hall, Guy Kapulnik, Udi Persi (1 h 31).

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Abdellatif Kechiche, cinéaste du désir et de la rage

Rarement une Palme d’or – ce Nirvana du cinéma d’auteur – aura suscité autant de malaise. Faut-il – s’agissant d’un prix couronnant à titre exceptionnel le réalisateur et les deux actrices principales – que les puissances de destruction en jeu dans cette histoire soient fortes !

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De fait, à peine la Palme décernée, une kyrielle de couacs retentit, nonobstant les louanges de la critique. Techniciens dénonçant l’ambiance du tournage et certains manquements contractuels. Stigmatisation de la goujaterie du cinéaste et de son approche de la sexualité féminine par Julie Maroh, auteur de la BD dont est inspiré le film (Le bleu est une couleur chaude, Glénat, 2010).

Enfin, les deux reines de la fête, Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos, se débondent lors de la promotion du film aux Etats-Unis, suggérant dans un entretien accordé au site The Dealy Beast que le cinéaste est, peu ou prou, un sadique. Quelques jours plus tard, Abdellatif Kechiche réplique en se confiant à Ramzy Malouki, correspondant de Canal+ à Hollywood, qui tweete ces propos : « Si Léa n’était pas née dans le coton, elle n’aurait jamais dit ça. (…) Léa fait partie d’un système qui ne veut pas de moi, car je dérange. » Passons sur les suites et les palinodies du feuilleton, samplées par la presse en une boucle infinie.

FEU SACRÉ DE LA CRÉATION

Comment en arrive-t-on à un tel désastre ? Sans doute, dans la profession, Abdellatif Kechiche passe-t-il pour un tempérament. Sans doute encore apparaît-il comme l’homme des non-lendemains, tant avec ses producteurs qu’avec ses jeunes actrices, qu’il consume au feu sacré de sa création. Ces avanies ne sont pas si rares dans l’histoire du cinéma. En contrepartie, quel talent, quelle puissance de révélation, quel hommage rendu à l’acte de jouer. La méchante tournure que prend la polémique suggère donc autre chose. Cette chose, Kechiche nous la met sous les yeux depuis qu’il est entré dans la carrière : c’est ce qui, dans le rapport charnel, persiste du rapport colonial. L’idée pourra sembler réductrice. Elle est une hypothèse qui n’entend pas en tout cas réduire la portée universelle de l’œuvre.

Toujours est-il que cette œuvre, il faut la regarder en face. Chaque film recèle une ou plusieurs grandes scènes performatives, où une relation de désir s’ouvre sur la blessure de l’inégalité, de l’humiliation, de la concupiscence. Dans La Faute à Voltaire (2000), un immigré clandestin d’origine tunisienne, Jallel, bien fait de sa personne, rencontre à l’hôpital psychiatrique une jeune Française borderline et nymphomane, surnommée « la profiteuse », qui semble vouloir le dévorer tout cru.

DE « L’ESQUIVE » À « VÉNUS NOIRE »

Dans L’Esquive (2004), le jeune Krimo, amoureux de la blonde tchatcheuse Lydia, veut lui donner la réplique dans une scène du Jeu de l’amour et du hasard, de Marivaux, mais perd la face, en même temps que la fille, faute de posséder les codes sociaux du jeu théâtral. Dans La Graine et le Mulet (2007), Rym, offrant sensuellement son corps en sacrifice, se lance dans une danse du ventre torride devant un parterre de petits notables sétois pour sauver son beau-père de la ruine. Vénus noire (2010), évocation du destin de l’Africaine Saartjie Baartman promenée comme phénomène exotique et sexuel dans l’Europe du XIXe siècle, ne cesse de faire jouer ce regard colonial comme une mise à l’épreuve de celui du spectateur.

Autant de films et de situations où l’inégalité sociale et ethnique vient pourrir la sphère intime, et où chaque tentative d’émancipation conduit, par une cruelle ironie, à renforcer l’aliénation. La Vie d’Adèle, qui voit le déterminisme social causer une fois encore la rupture du couple, semblait du moins ne pas reconduire l’épure du rapport ethnique. La lecture du dossier de presse du film est à cet égard troublante. L’auteur y loue en effet « l’arabité » de Léa Seydoux, et précise que le prénom « Adèle » (celui de l’actrice Adèle Exarchopoulos et de son personnage) signifie « justice » en arabe.

Il y a plus. Le sentiment que la tension ethnique, chassée par la porte, revient par la fenêtre, au détour des accusations portées au premier chef par Léa Seydoux contre Abdellatif Kechiche. Aurait-on cherché le symbole d’un choc entre deux mondes qu’on n’aurait pas trouvé mieux : la nouvelle icône du cinéma français, affiliée aux détenteurs de l’empire Gaumont-Pathé et héritière d’une lignée de chevaliers d’industrie, contre l’ex-colonisé, immigré sans grade débarqué de sa Tunisie natale, conquérant contre vents et marée les échelons de la notoriété. L’image est forte, elle semble surgir d’un ressac inattendu de l’Histoire.

LE PASSÉ QUI NE PASSE PAS

Tout porte à croire que c’est ce type de ressac qui conduit Abdellatif Kechiche à filmer avec un tel mélange de désir et de rage notre société. Notons que ce même registre déterminait déjà sa brève carrière d’acteur, durant laquelle il interpréta notamment le rôle de Saïd, un jeune beur objet de fantasme sexuel dans Les Innocents (1987), d’André Téchiné, ou celui de Roufa, fier gigolo des touristes occidentales dans Bezness (1991), de Nouri Bouzid.

Il est intéressant, pour mesurer cette singularité, de comparer l’œuvre de Kechiche à celle d’autres réalisateurs d’origine maghrébine. Rachid Bouchareb (Little Senegal, Indigènes), qui privilégie le devoir de mémoire dans des fictions engagées qui font droit à l’Histoire. Rabah Ameur Zaïmeche (Bled Number One, Dernier maquis), qui fait parler la foudre de la modernité esthétique dans des films à la narration poétique et disruptive. En dépit de leur dissemblance, ces deux créateurs s’entendent sur le dépassement rationnel du contentieux colonial et du fléau raciste.

Tel n’est pas le cas de Kechiche. Lui est le cinéaste de la part maudite, du passé qui ne passe pas, du malentendu invétéré. Son œuvre le crie, le hurle: quelque chose de l’ignominie du rapport colonial est encore parmi nous, qui loge dans le désir des hommes, brûle dans la chair des femmes.

FAIT COLONIAL ET POSTCOLONIAL

La sourde intrication que mettent en jeu ses films entre histoire coloniale et rapports de classes, échanges sexuels et hiérarchies raciales, ne tombe pas des nues. Elle correspond, dans le milieu de la recherche, à une nouvelle approche du fait colonial et postcolonial. Celle-ci, dans la lignée de Marcel Mauss (les « techniques du corps ») et Michel Foucault (le « biopouvoir »), privilégie l’étude des règlements et dérèglements des relations intimes entre colonisateurs et colonisés.

Aujourd’hui, les travaux du sociologue Eric Fassin, de l’historienne Christelle Taraud, de la philosophe Elsa Dorlin répondent aux études pionnières de l’anthropologue et historienne américaine Ann Laura Stoler. Dans La Chair de l’empire (La Découverte, 304 p., 26 euros), celle-ci écrit ainsi : « Le lexique de l’empire et ses images sexualisées ont intégré le discours européen sur la classe ; mais l’inverse est tout aussi vrai (…). Les images impériales de l’érotique paroxystique du colonisé ont saturé les discours sur la classe. » Telle serait aussi l’intime circulation du cinéma d’Abdellatif Kechiche, de la chair de l’Empire à l’empire de la chair.

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"Papa vient dimanche" : un père divorcé face au mépris et à la corruption

Curieuse concomitance des agendas. Alors que La Bataille de Solférino de Justine Triet vient de sortir en salles, un film roumain lui fait écho. Il est signé par Radu Jude, qui appartient à la nouvelle génération de cinéastes roumains, acclamée dans les festivals. Après La Fille la plus heureuse du monde, réalisé en 2009, son second long-métrage articule destin individuel et collectif et fait d’une tragédie intime la conséquence d’un déchirement national, comme chez Justine Triet. Nul ancrage documentaire, en revanche, chez Radu Jude. Son drame se joue en appartement (comme dans la seconde partie de La Bataille de Solférino) et met, là encore, en scène un couple qui se bat autour d’une garde d’enfant.

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Jeune père divorcé, Marius se réjouit d’aller chercher sa fille Sofia, pour l’emmener passer quelques jours au bord de la mer. Agée de 5 ans, la fillette vit chez sa mère, qui a refait sa vie avec un comptable. Marius achète une peluche géante, la charge sur son vélo et se rend chez ses parents pour y récupérer leur voiture. C’est là que les ennuis commencent. La conversation ne tarde pas à dégénérer avec le patriarche très conservateur. Il agonit d’injures son fils qu’il tient pour un raté, en raison de son divorce. Quand Marius débarque enfin dans ce qui fut son foyer, on lui refuse le droit de partir avec sa fille, prétendument souffrante. Sa mère, en rendez-vous à l’extérieur, n’aurait pas donné, de surcroît, son aval. Exaspéré par une attente qui se prolonge, Marius sort de ses gonds. La situation, explosive, ne tarde pas à devenir incontrôlable.

Avec ses scènes tendues jusqu’au point de rupture, suivies de brefs moments d’apaisement, le film suit les improvisations drôles et maladroites d’un père qui, à défaut de se faire entendre et respecter, choisit de séquestrer son ex-femme et son compagnon. On émettra quelques réserves sur le jeu de l’enfant, qui décroche à un moment donné. C’est sereine, ou presque, qu’elle finit par évoluer au sein de cette hystérie généralisée.

UNE AUTRE FORME DE VIOLENCE, D’ETAT CELLE-LÀ

A propos de son film, Radu Jude cite volontiers Tchekhov, selon lequel « l’état naturel de l’homme est d’être ridicule ». Fidèles à cet aphorisme, ses personnages oscillent entre pathétique achevé et détresse profonde, suscitant des sentiments mêlés, entre empathie, stupeur et rejet. Difficile de rester insensible cependant à la souffrance d’un père dont on bafoue les droits, mais compliqué de ne pas éprouver à son endroit un sentiment d’absurdité quand on le voit s’enliser dans les ennuis.

Aberrantes, les situations (et les dialogues) prêtent à sourire. Marius a la violence furieuse et désespérée des forcenés qui n’ont plus rien à perdre. Humilié, il se laisse déborder par une douleur trop longtemps contenue.

Le film est travaillé en creux par une autre forme de violence, d’Etat celle-là. Entre deux prises de bec homériques entre les ex-époux, on apprend que la mère a acheté les juges pour obtenir la garde de l’enfant. Plus tard, elle lance à son ex-mari qu’elle a le pouvoir de faire établir un certificat médical pour sa fille, de manière à ce qu’il ne puisse pas exercer son droit de visite.

Dénoncé dans plusieurs films roumains, ce système de pots-de-vin, hérité de la dictature communiste, est au centre de la déchéance que vit Marius. Comme ses pairs Cristi Puiu (La Vie de Dante Lazarescu) ou Cristian Mungiu (Au-delà des collines) avant lui, Radu Jude montre les conséquences désastreuses que cette violence « légitime » a sur les destinées individuelles et la structure familiale, dans une comédie pleine de vigueur.

LA BANDE-ANNONCE (en VO sous-titrée)


Film roumain de Radu Jude avec Serban Pavlu, Sofia Nicolaescu, Mihaela Sirbu, Gabriel Spahiu (1 h 48).

Sur le Web : www.zootropefilms.fr/v2/catalogue/?IdFilm=Papa%20vient%20dimanche

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Cinéma

Mitra Farahani : "J ‘ai été écrasée par le charisme de Bahman Mohassess"

Peintre et cinéaste, Mitra Farahani vit entre Paris et Téhéran. Née en Iran en 1975, diplômée des Arts décoratifs, cette jeune femme est l’auteure d’une œuvre où l’érotisme, la nudité et la sexualité ont une grande part, qui lui a valu des démêlés avec la censure. Pour son film Tabous, elle a, en outre, passé trois semaines en prison en 2009.

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Bahman Mohassess, auquel est consacré votre film, est inconnu en France. Quel est son statut en Iran ?

C’est un mythe. Mais seulement pour une microsociété du monde de l’art. De son vivant, certains connaissaient son travail, mais on le connaissait surtout pour son absence, absence qui est le signe de la maladie de l’histoire de l’art iranien. Cette histoire n’a jamais été écrite. Elle commence à l’être maintenant sous l’impulsion du marché de l’art, qui rend soudain nécessaire le fait d’avoir un passé… Les œuvres de Mohassess ont été dispersées et sont très difficiles à trouver. Une partie avait été confisquée, puis était passée entre différentes mains. Une autre, datant de sa période des années 1980 et 1990, avait été détruite par lui-même.

Portiez-vous le projet de ce film depuis longtemps ?

Depuis trois ans ! J’étais fascinée par ses peintures. Chaque fois que je voyais une, j’étais absorbée par l’aura provocatrice qui en émanait, y compris dans la plus petite nature morte.

Je rencontrais des gens qui étaient en contact avec lui, mais ils ne donnaient pas son adresse. Il avait construit quelque chose de bétonné autour de lui, que tous respectaient. Au moment où j’ai enfin récupéré son numéro de téléphone, il a accepté que je vienne lui rendre visite à Rome. Je pensais rester une journée, pour faire connaissance, parler de mon projet de film… J’avais des problèmes pour aller et venir hors d’Iran à l’époque. Je m’étais engagée vis-à-vis des autorités iraniennes à revenir au bout de quatre jours. Je suis restée deux mois et demi.

Que s’est-il passé ?

J’ai été écrasée par son charisme. Comment l’Histoire avait-elle pu ignorer un si grand homme, si conscient de l’Histoire ? Je me suis dit que ce film ne serait pas seulement un film sur cet homme, mais une vengeance sur l’Histoire. Je haïssais l’Histoire.

J’avais envie de donner à Mohassess tout ce dont il avait besoin. Vous voulez vendre vos œuvres ? Je vous trouve un acheteur. Vous voulez une commande ? Je vous trouve une commande. J’étais un soldat. Vous voulez mourir ? Je vous donnerai la place que vous méritez. Il y avait une telle recherche de perfection chez lui, dans tous les domaines… La mort était le seul qui lui était inaccessible. Quand il est mort, c’était comme si la mission était accomplie – en faisant une grimace à l’Histoire.

Il vous parlait de sa mort ?

Non. Mais il y avait un climat. Une fois l’atelier à sa disposition, il était prêt. Sa mort, en ce sens, fut un moment glorieux. Il la désirait. De fait, en faisant ce film, j’avais l’impression de suivre un scénario déjà écrit, où la mort était programmée, où les deux frères collectionneurs de Dubaï étaient deux anges de la mort…

La scène de la mort de Mohassess retranscrit-elle le drame tel qu’il s’est produit, ou est-ce un montage destiné à l’évoquer ?

Ce n’est pas un montage. Il est mort au moment où je pensais que le film allait commencer. Je venais de recevoir le matériel pour l’éclairage, j’allais commencer à le filmer en train de créer. Dans la journée, il m’avait dit que, si je voulais filmer ses statues, il fallait que je le fasse le jour même parce qu’il allait les empaqueter.

Il voulait laisser quelque chose aux deux frères en échange de leur avance de fonds, au cas où il lui arriverait quelque chose. Le même jour, il m’a dit qu’un homme devait toujours avoir une pilule de cyanure sur lui. L’ambiance était lourde. Il est allé se coucher, et j’ai continué à filmer les statues…

Tout à coup, je l’ai entendu sortir de sa chambre en s’étouffant, je me suis précipitée vers lui, j’ai lâché la caméra, elle est tombée par terre et continuait à prendre le son. J’étais persuadée qu’il avait pris du cyanure – l’autopsie nous a appris que c’était une hémorragie liée à un cancer caché.

Intégrer cette scène au film allait-il de soi ?

Pas du tout ! Pendant un an, personne ne savait que j’avais ce matériel. Je ne voulais pas le banaliser en en parlant. Quand j’ai commencé à en discuter, j’ai compris que personne ne pouvait me donner de conseil.

C’était un choix personnel, qu’il fallait que j’assume. J’ai essayé sans. Mais avec ce que j’ai connu de lui, il me semblait évident que ce geste final était quelque chose qu’il me jetait. Il me disait : « Tiens ! Regarde ! »

Lire aussi :  la critique du film, par Jacques Mandelbaum