En 2009, le jardin de William Christie à Thiré n’était encore qu’un paradis terrestre à usage privé perdu dans le bocage vendéen entre Nantes et La Rochelle. Le chef d’orchestre, claveciniste et fondateur de l’ensemble des Arts florissants, consacré à la musique baroque, avait tout lieu de s’en enorgueillir : il avait conçu à partir de presque rien – une métairie désolée et deux hectares de friche acquis en 1985 – ce qui allait devenir quinze hectares et presque vingt ans plus tard un jardin remarquable (2004) avant l’inscription en 2006, corps de logis compris, à l’inventaire des Monuments historiques.
Le Monde.fr a le plaisir de vous offrir la lecture de cet article habituellement réservé aux abonnés du Monde.fr. Profitez de tous les articles réservés du Monde.fr en vous abonnant à partir de 1€ / mois | Découvrez l’édition abonnés
William Christie n’avait alors pas vu venir les trente ans de ses Arts florissants. Mais il avait confié son rêve de pérennité arcadienne : « Ici, je construis quelque chose qui va dépasser le temps de la vie, un endroit de paix et de repos qui pourrait bien devenir un jour une fondation pour les artistes. »
Art de la paix, paix des arts : « Bill » l’humaniste n’a jamais ignoré qu’il fallait pour cela préparer la guerre, cette « bataille du goût » pour une musique baroque, qu’il s’est mis en tête de porter jusqu’en sa demeure, créant en 2012 avec le soutien du Conseil général de Vendée un festival intitulé « Dans les jardins de William Christie ». « Je déplore que la France, dont j’aime et admire la culture, soit aujourd’hui en train de tomber dans un cruel et triste nivellement par le bas. Nous avons une obligation de résistance », lâche-t-il, redressant sa silhouette claire en chapeau d’été et chaussures de gentleman-farmer à l’ombre de sa pinède. Nulle démagogie en effet dans le discours du Franco-Américain qui, pour se gausser de ses propres « excès de gentilhomme », partage désormais la dernière semaine du mois d’août avec son public, convié aux promenades musicales des après-midi comme aux concerts du soir.
PERSPECTIVES BAROQUES ET THÉÂTRALES
Ce 28 août, William Christie est partout, au four, au moulin, mais aussi au Miroir d’eau, où il répétera à nuit tombée Didon et Enée, de Purcell, donné en clôture les 30 et 31 août à 20 h 30 – les deux cygnes Alice et Gertrude ont été éloignées dans un enclos abrité le long de la rivière. Il y aura ensuite l’église de Thiré, où il donnera à 22 h 30 l’une des Méditations à l’aube de la nuit en compagnie du ténor Paul Agnew et du jeune joueur de théorbe Thomas Dunford.
Mais le soleil n’est pas couché. Sa danse de lumière célèbre, du Théâtre de verdure au Jardin rouge, du Cloître aux terrasses devant la maison, les noces de la musique et de la nature. Entre maniérisme toscan, renaissance française et style britannique « Arts and Crafts » des années 1890, le jardin de Thiré s’enchante de perspectives baroques et théâtrales, méditatives ou spirituelles, chacune accueillant les sons qui lui conviennent. C’est ainsi que les mégalithes du Mur des cyclopes ont entraîné le flûtiste Sébastien Marq et Thomas Dunford dans une sauvage improvisation sur le thème de la Folia. Qu’au Pont chinois, le Zefiro torna de Monteverdi a mêlé les vocalises ailées du ténor Zachary Wilder et du baryton Victor Sicard. Qu’ils fassent partie des Arts florissants « canal historique », des jeunes du Jardin des voix ou des élèves new-yorkais auxquels Bill enseigne depuis 2007 à la Juilliard School, les hôtes de ce jardin n’ont rien à envier à l’immortalité des nymphes et autres satyres. Ce n’est pas l’escouade rieuse de petites filles croisée en chemin après une fraîche initiation à l’atelier de basse continue qui dira le contraire.
Sur le Miroir d’eau, la nuit a assombri les amours de la reine Didon, mais le jardin s’est paré d’insolites féeries : piste d’envol des bougies dans les allées, projecteurs sculptant là, la masse douce d’un pin, ici, le cône tentateur d’un buis taillé. L’allée centrale qui monte à la maison de pierre porte le rêve d’un homme et son désir fou de beauté.
Dans l’église aux cierges sentinelles, Bill Christie a quitté l’orgue positif. Paul Agnew vient d’entonner deux Salve Regina (de Campra puis de Couperin), délicatement lié aux Voix humaines de Marin Marais par Thomas Dunford. Le public a été prié de ne pas applaudir afin de laisser l’espace flotter dans la nuit. On a laissé William Christie en son jardin nocturne : le temps joue pour lui depuis qu’il a cessé de le compter à rebours.
Dans les jardins de William Christie à Thiré (Vendée). Jusqu’au 31 août. Tél. : 02-51-44-79-85. De 10 à 18 €. Festivalchezwilliamchristie.vendee.fr