Il ne fait aucun doute que le bouillonnement des pays de la rive sud du bassin méditerranéen qui est dû à des raisons internes et externes va au-delà des facteurs conjoncturels et religieux. Il remet en cause les régimes politiques en place fermés, rigides, sans perspectives politiques et complètement décrédibilisés aux yeux des masses populaires arabes. Celles-ci découvrent désormais que l’argent et le pouvoir de ces régimes immobiles sur lesquels elles butent, sont concentrés entre les mains des «élites» rétrogrades, corrompues, dépourvues de toute vertu patriotique et déconnectées de leurs pays réels.
Toutefois, notons que les changements brutaux de certains régimes politiques arabes qui sont généralement menés par des jeunes animateurs sont l’objet de tentations de récupération par le grand capital transnational et ses complices locaux : militaires, islamistes, affairistes, etc. En Egypte par exemple, même si elle s’est désolidarisée de Housni Moubarak sous la pression de la rue, l’armée a toujours été la patronne de l’Egypte et la colonne vertébrale du régime. Elle va rester encore aux affaires et garder pour longtemps son rôle de faiseur de rois. Sa tentation est de recomposer avec le grand capital et ses monopoles, et de rétablir sur les décombres de l’ancien régime, un ordre réunissant islamistes, affairistes, hommes d’affaires et anciens opposants au détriment des réformateurs authentiques.
Ces jeunes animateurs qui ont la fureur de vivre appartiennent à une génération mondialisée par la révolution des moyens de communication qui a donné un coup de vieux aux régimes politiques en place (le lancement et l’entrée dans tous les foyers des chaînes de T.V, Al Jazeera, entre autres). Cette révolution qui a généré un rapprochement sans précèdent entre les sociétés non seulement au niveau du monde arabe, mais aussi à l’échelle de la planète, a poussé les masses arabes à aspirer à des valeurs démocratiques et universelles. Encore faudra-t-il que les meneurs de ces agitations populaires soient capables de donner à leur démarche un contenu politique et stratégique avec des moyens à mettre en œuvre en vue d’atteindre des objectifs enveloppés de conceptions philosophiques, politiques, socio-économiques, voire psychologiques de la civilisation humaniste, technicienne. Des objectifs qui consistent à préparer un espace où s’incarnerait un nouvel esprit d’Humanisation du travail.
Par «Humanisation du travail» nous entendons les conditions matérielles du travail et ce qu’il entraine après : salaire, propriété, sécurité…
Humanisation du travail
Les pays arabes possèdent-ils une législation protectrice du travail correspondant aux sociétés modernes ? Voilà une question qui est en rapport avec le niveau de progrès de ces dernières. Toutefois, des problèmes plus profonds se posent encore, qui peuvent se résumer d’un mot : l’humanisation du travail.
Au plan philosophique d’abord, les pays arabes sont dépourvus de structures destinées à mener à bien des recherches sur le machinisme et ses effets positifs et négatifs sur l’homme ; aucune idée sur le bon et le mauvais usage de la machine par l’homme ; comment porter un jugement sur cet usage…, sinon la philosophie recherche l’harmonie entre l’homme et la machine, base d’une « civilisation du travail ».
Sur le plan psychologique ensuite, quels sont les pays arabes qui ont créé des centres universitaires de recherche relatifs à la science psychotechnique entre autres, pour essayer de découvrir les lois d’adaptation concrète de l’homme à la machine ? Pour savoir si dans son ensemble, l’industrie favorise la psychologie du travailleur arabe, si elle développe en lui le mécontentement, le rejet, la paresse et en général, un réflexe de résistance, voire d’inhibition.
Ces centres universitaires qui comprendraient de clairvoyants psychotechniciens, proposeraient des réformes de structures économiques permettant de rendre au travailleur arabe la conscience de sa qualité de coopérateur à l’économie, de père de famille, de citoyen, d’homme. Ainsi, le travailleur arabe donnerait à son travail une adhésion totale : se rendant compte qu’il fait un travail humain, il travaillerait en homme…
Salaire
Le travailleur accepte facilement l’autorité, mais il refusera toujours d’être la victime du despote Argent, dont il ne peut attendre que ruine et misère. Les violentes réactions des masses arabes trouvent, pour une grande partie, leur origine dans l’iniquité pratique du régime «féodalo-capitalistique » dans lequel l’activité humaine est un simple moyen de faire travailler les capitaux : renversement des valeurs, contre lequel s’insurge tout commun des mortels de bonne foi.
Les Etats et le patronat arabes sont loin d’avoir compris que le problème du salaire prend aujourd’hui d’autres orientations. Partant de la base d’un minimum vital, c’est aux Etats de fixer les barèmes jouissant de la protection et de la sanction légale, de décider les salaires selon les charges familiales en proportion de la valeur professionnelle et du travail exécuté, et de les augmenter à des participations aux bénéfices.
En ce qui concerne le critère de minimum vital, un homme qui travaille a le droit imprescriptible de vivre du fruit de son travail ; c’est un principe de droit naturel qui est trop souvent violé dans les pays arabes sous prétexte de crise économique. Ainsi faudrait-il, en cas de mauvaise conjoncture, en faire retomber les effets sur le capital d’abord, sur le travail ensuite. Mais le capitalisme qui a toujours préféré la solution contraire, s’est complu dans l’inflation qui touche beaucoup plus la masse des travailleurs et des petits épargnants que les puissants capitalistes.
Sécurité
Quant à l’indemnité pour charge familiale, elle doit être inclue dans le salaire, car, là comme ailleurs, la mentalité des jeunes travailleurs arabes est de plus en plus réfractaire à l’idée paternaliste : les classes laborieuses juvéniles qui travaillent n’admettent plus recevoir des mains d’autrui des gratifications et de l’aumône pour un travail bien accompli. On aperçoit, dès lors, comment le salaire est calculé au minimum dans les pays arabes pour favoriser les intérêts capitalistes et en fonction de la conjoncture économique (prospérité-crise-déflation-inflation). Nous espérons qu’avec ces révoltes et ces insurrections, les futurs Etats arabes, sous la pression des classes laborieuses et des travailleurs, vont être obligés de fixer les barèmes en essayant de concilier capital et travail, en tenant compte de la conjoncture. Il faudra également introduire et généraliser la « Sécurité Sociale » dont le principe est assez simple et qui consiste à réunir les contributions préventives, restreintes et régulières des membres d’une entreprise ou d’une communauté, pour indemniser la victime essentielle d’un risque couteux. On entend par là ce qui peut compromettre la sécurité du travail (licenciement arbitraire, chômage, invalidité…) ou la sécurité d’existence en cas d’impossibilité de travail (pension de vieillesse, par exemple). C’est le grand problème des pays arabes.
Propriété
Par ailleurs, lorsqu’on parle de propriété, il n’est nullement et aucunement question de la propriété des grands monopoles, mais c’est d’abord au droit au logement et à la maison que l’on songe : l’individu et la famille ne se développent pleinement que sous la protection d’un abri assuré, personnel, stable. Il faudra des lois prévoyant des prêts avantageux et remboursables à concéder à tout ménage qui désire acheter une maison, voire la faire construire. Ainsi faudra-t-il procéder à l’extension du crédit foncier et immobilier et du prêt hypothécaire en vue de la construction de maisons individuelles par la création de « sociétés des habitations et logements à bon marché en recourant aux technologies appropriées tel que le «Béton de Terre stabilisée» (1) par exemple, sans pour autant créer «des ghettos» ou du «bloc d’appartements» avec la juxtaposition ou l’accumulation monotone d’installations identiques, dans lesquelles l’individualité familiale est peu respectée.
De même, les travailleurs doivent posséder aussi des réserves d’argent qui leur permettent d’acheter tous instruments et matières nécessaires et utiles à une vie normale : dans une civilisation technique, le standing moyen exige la possession de maints objets dont se passe une époque plus fruste. Ainsi, la distribution d’eau, d’électricité, l’usage du gaz et d’une salle de bain devraient être généralisés. C’est pour cela que le salaire doit absolument être suffisant pour assurer certains biens utiles et agréables correspondant aux besoins de base de nos sociétés modernes et techniques : ornements de la maison, poste de T.V, machines à laver, fer à repasser…, accès aux soins de santé, à l’éducation et à la culture, aux loisirs, distractions, congés, vacances…
En guise de conclusion
Par leurs mouvements insurrectionnels, les grandes masses arabes voudraient plus de solidarité, plus de démocratie politique et économique. Elles veulent une amélioration de leur standing matériel et moral à travers une participation à la direction des activités économiques et politiques. C’est un fait contre lequel des considérations subjectives et objectives se brisent : en gros, le travail s’insurge contre le capital, entend lui rendre sa place, toute sa place, rien que sa place de pur moyen dans l’entreprise et assumer lui-même la direction.
(1): Le principe du B.T.S consiste à préparer des blocs à partir d’un mélange d’argile, d’eau et de chaux (10 à 15 %) qu’il faut laisser sécher au soleil et à l’air libre. Il s’agit d’un procédé simple, approprié, économique et surtout écologique.